Partie I : bilan statistique et premiers enseignements
536 mots ont été retenus par l’équipe de dépouillement:
- 286 mots français
- 110 mots anglais
- 74 mots allemands
- 33 mots espagnols
- 19 mots latins
- 14 mots chinois
De nombreux billets ont été écartés (environ une cinquantaine) parce qu’ils profitaient du côté anonyme de l’activité pour y déposer des plaisanteries, des réclamations pour la cantine, des déclarations d’amourette, des moqueries ou des mots qui provoquent le gloussement chez les enfants qui découvrent leur corps. Il n’y avait aucun intérêt à se pencher dessus.
23 mots d’autres langues ont été déposés bien que le panneau indique qu’il fallait choisir dans les langues enseignées dans l’établissement: 8 mots italiens, 4 expressions arabes, 3 expressions japonaises, 2 mots en alsacien, norvégien et turc, 1 mot en russe et coréen, 2 titres de chansons d’un groupe lituanien.
Nous regrettons un peu d’avoir finalement intégré le français à cette activité car ce n’est pas une langue étrangère en soi et les élèves ont finalement choisi la facilité en déposant des mots français. Inversement, cela reflète peut-être aussi les réflexes des francophones à sortir difficilement de leur confort linguistique. Cela justifie cette Semaine des langues et le fait qu’il faille sans cesse rappeler la nécessité et l’utilité de l’apprentissage des langues comme ouverture aux autres et à l’altérité culturelle en général.
Le groupe d’étude a éliminé presque la moitié des mots français car il ressortait qu’ils avaient été choisis non pas pour leur consonance mais pour leur signifié, pour ce qu’il évoque chez le locuteur: d’un côté les belles choses, la tendresse, l’amour, d’un autre côté la provocation, la faim, le plaisir de nommer des choses qu’on écrit peu. Le danger de retenir le français dans cette activité était justement de ne pas arriver à dissocier signifiant et signifié, mot qu’on aime prononcer parce que sa signification vient renforcer l’impression de sonorité agréable; en fait, le locuteur ne sait plus s’il aime le mot parce qu’il est phonétiquement joli ou parce qu’il représente quelque chose qu’on adore. Avec les langues étrangères, ce phénomène s’est largement réduit aux classiques « love », « Liebe », « amor » par exemple.
Les autres langues retenues ont également montré le côté subjectif du mot choisi: certains ont pioché dans un registre ou une langue qu’ils aiment déjà au-delà du seul mot à choisir. Il n’y avait donc aucun effort particulier à choisir un terme car le mot déposé n’est qu’une confirmation d’une passion préexistante, d’un type de musique qu’on écoute déjà ou d’expressions qui reviennent dans les médias en boucle et qu’on s’approprie par jeu ou mimétisme. Une personne doit écouter de la musique lituanienne ou a fouillé sur internet pour trouver une langue moins identifiable, une autre des chants en russe, une autre nomme un groupe de chanteurs coréeen. Pour الله أكبر , إن شاء الله, إستغْفِرُالله, les mots n’ont pas forcément été choisis pour leur consonance qui plaît, mais pour leur côté « mode ». Il est probable que le caractère exotique soit le facteur déclencheur de la sensation agréable provoquée par ces mots.Tous comportent le mot « allah » dont la sonorité fluide du L géminé peut plaire malgré la légère aspiration finale du mot peu habituelle pour le francophone. D’ailleurs, il est probable que les Français ne le prononcent pas et s’arrêtent à dire « alla ». Du coup, l’équipe d’analyse s’est souvent posé la question de savoir si on peut aimer entendre sans pouvoir prononcer soi-même le mot. Ceci étant, si c’est un musulman qui dépose ces billets, l’association avec une piété religieuse forte peut augmenter la sensation de beauté des expressions.
Il n’y a eu que deux mots issus des dialectes germaniques de la région, mais ils en disent long. Le premier ne démontre rien et passe par l’estomac: les Flàmmeküeche. Le second, Schlàppe, montrent que les francophones peuvent parfois réagir favorablement à des mots régionaux très récurrents qui leur donnent l’impression d’un enracinement dans la région. Le mot régional introduit dans la langue française prend une connotation rassurante et plaisante, comme un passeport du lieu où l’on vit, un marquage de l’intégration, une perception de la différence identitaire. Le fait de le dire en français ne procure pas le même plaisir, ni le même sens. Dire « chausson » fait perdre toute émotion non explicable. Un non-natif peut en effet mettre une émotion sur un mot qu’il vient d’apprendre totalement surfaite par rapport aux locuteurs natifs qui y voient un mot banal. Cela nous a rappelé le mot « Wurscht » que certains francophones aiment utiliser en ayant l’impression que cela donne plus de poids, d’emphase et d’authenticité au produit alimentaire que le simple mot saucisse devenu banal, sans identité en quelque sorte.
Avec l’italien qui n’était pas prévu non plus, on constate clairement que si l’on demande à des gens de dire les sons qu’ils aiment entendre ou prononcer, le francophone réagirait, semble-t-il, plus facilement aux sons ouverts et francs, plus clairement identifiables pour lui. La musicalité l’emporte sur l’accentuation, la légèreté sur l’articulation. Les mots italiens choisis comportent majoritairement des voyelles antérieures avec une surreprésentation du « a ». Les consonnes occlusives orales et nasales dominent largement. Peut-être que la confrontation entre « mamma » et « maman » illustre bien ce propos. En tout cas, nous avons constaté que les Français choisissent souvent des mots riches en voyelles antérieures en tête desquelles le « A » très ouvert à l’exception de l’anglais où ce sont n’existe pas (Ne pas le confondre avec le « A » dans « cat »). En observant le triangle vocalique français, on se rend compte que cela ne fait que confirmer une tendance naturelle de la langue française qui comporte de très nombreuses voyelles antérieures.
Les autres langues sont détaillées dans d’autres articles.
Equipe: M. Beller, V. Dill, M. Fievet, C. Jochem, H. Pilière, H. Schott, M. Burgatt, M. Friant, C. Klein, V. Meyer, M. Moritz, V. Muller
Modérateurs: P. Curin, J. Rozet
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