Le rêve, c’est pas tout à fait du chinois

Les grasses matinées, les siestes apéritives, digestives et vespérales, sont-elles vraiment du temps perdu ? Perd-on la raison à chaque fois qu’on bascule dans le sommeil et dans ses rêves étranges ? N’y a-t-il que des illusions dans ce tourbillon d’images absurdes et dionysiaques ? Ou bien peut-on accéder à la vérité à travers les rêves ? Y a-t-il alors un art de rêver, comme il y a un art de jouer du piano en virtuose ? Pour élucider ce problème, les apprentis philosophes de terminale littéraire ont eu le plaisir d’entendre une leçon de Rudy Vavril, enseignant de chinois mandarin au lycée Saint-Antoine, et auteur de La sciences des rêves en Chine, aux éditions You Feng, abrégé en 500 pages de sa thèse de doctorat. Reprenant tour à tour les enseignements de la médecine traditionnelle chinoise, du taoïsme et du bouddhisme tibétain, Rudy Vavril a expliqué (à un public nombreux et bien réveillé) pourquoi le rêve est considéré en Chine comme une source de savoir, de santé, de bonheur et de sagesse.

Un public particulièrement enthousiaste à la perspective de passer aux travaux pratiques. Malheureusement, la salle n’était pas équipée du matériel pédagogique nécessaire (hamacs, nattes, divans profonds, banquettes matelassées, édredons et oreillers..)

Retrouvailles avec le Tao : le statut du rêve dans le monde chinois

 »  Naissant corrélativement avec la scapulomancie ou la divination à l’aide d’os et carapaces de tortues, l’oniromancie chinoise témoigne de l’appréhension du phénomène du rêve dans la culture chinoise 3000 ans avant Freud. 400 ans avant J-C, le sage taoïste Zhuangzi redéfinira le rêve en le plaçant au centre de sa réflexion sur le réel et sur la nature ultime des 10000 êtres composant l’univers. Un autre Taoïste, Chen Tuan, aux alentours de l’an mille élaborera quant à lui une méthode de sublimation de ses rêves afin de renouer avec le Tao, la matrice de toute chose, l’état originel au-delà de toute dualité.

 

 

La question se pose bien évidemment de savoir quelle place peuvent aujourd’hui accorder au rêve de jeunes lycéens? A l’heure où le virtuel et les écrans captent toutes leurs attentions, le rêve ne serait-il pas pour eux un moyen de se recentrer sur eux-mêmes. A l’époque du SMS et du tweet, ersatz des lettres et correspondances, et de l’image lobotomisant les esprits déjà durement affectés par le matérialisme consumériste, il serait peut-être bon et salutaire d’opposer à cette illusoire folie le temps du rêve. Un temps apaisant, entre philosophie et contemplation de l’esprit, une simple jubilation de l’Etre semblable sans doute à celle de l’enfant reconnaissant son reflet dans un miroir. »    Rudy Vavril

Le statut du rêve dans la science moderne

Il y a des centres de recherche sur les ovnis, et la chaire d’astrologie à l’académie royale des sciences, supprimée par Colbert en 1666, a failli être rétablie en Sorbonne il y a quelques lustres. Par contre, on ne trouve nulle part de chaire universitaire ou d’académie privée spécialisée dans l’analyse des rêves. Il faut dire que le projet scientifique moderne reste fidèle au vieux principe pythagoricien et démocritéen, suivant lequel le monde réel est un monde purement matériel, physique, doté d’une organisation mathématique et donc de lois calculables et réductibles à des formules numériques. Dans cette perspective le rêve devient insaisissable, puisqu’il est fait d’images vaporeuses, instables, fugitives. Tout ce que la science peut alors étudier, c’est la partie du corps, concrète, matérielle, qui rêve. Par exemple, au début du XXe siècle, le docteur Freud analyse le rêve comme une mise en scène des frustrations sexuelles du corps. Étudier le rêve signifie alors étudier la sexualité du corps. Quelques décennies plus tard, la biochimie et la neurologie partent du principe que c’est le cerveau qui rêve, et tout ce qu’on sait désormais du rêve, c’est ce qu’on peut savoir sur le cerveau quand il rêve. C’est un peu comme si on étudiait le cerveau de Léonard de Vinci pour comprendre la Joconde… Quant à analyser le rêve de l’intérieur, c’est une autre affaire, que la science abandonne à tort aux diseuses de bonne aventure et autres sorciers des temps modernes, de même que l’étude du monde physique a été longtemps laissée aux alchimistes à la recherche des homoncules et de la transmutation des métaux.

Zhuangzi, dans son sommeil, en plein travail. « Il n’y a que les sots qui se croient éveillés. »

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